“L’expérience 5 * que nous prônons dans l’équipe (pour nos clients internes) est enrichie par la méthode du legal design”

Entretien avec Claire Caquant, Directrice juridique, Leroy Merlin

(Naviguez librement dans l’interview en cliquant sur les menus ci-dessous)

  1. Parcours
  2. Routines professionnelles
  3. Ce qui est important pour une directrice juridique
  4. Rôle du legal design
  5. Le legal design dans les projets juridiques de Leroy Merlin
  6. Vos transformations par le Legal Design
  7. Le legal design, une tendance ou des compétences pré-requises pour les juristes ?
  8. Projets prioritaires pour la direction juridique de Leroy Merlin
  9. Se former au legal design

Présentez-vous. Quel est votre parcours ?

Diplômée d’un master 2 en droit des affaires obtenu à l’université de Lille 2,  j’ai financé mes études en cumulant les jobs étudiants dans des enseignes textiles, avec un goût prononcé pour les postes liés à la vente. 

J’ai commencé ma carrière juridique en 2009, chez Phildar, où j’ai appris le métier de juriste en entreprise, en participant au beau projet d’une entreprise qui valorise l’histoire du patrimoine français du fils d’art et qui a su s’imposer comme leader européen du fil à tricoter.

Après cette année d’apprentissage et avec mon diplôme en poche, je rêve d’international, et je fais le pari d’un contrat de 3 mois comme juriste internationale chez Kiabi, enseigne que j’affectionne particulièrement en tant que cliente. Pari gagnant! Car finalement, je prends beaucoup de plaisir à travailler, durant les 9 années suivantes dans cette belle entreprise, dans une équipe multiculturelle,  avec ma responsable brésilienne, notre directeur espagnol, et nos collègues à l’international. J’occupe successivement les postes de Juriste International, Responsable Juridique de l’équipe retail et Co-leader juridique de la direction juridique groupe.

Je rejoins Leroy Merlin en 2019,  convaincue du projet de l’entreprise, en tant que responsable juridique du pôle commerce. J’ai l’opportunité de construire mon équipe et de contribuer aux projets  stratégiques des enseignes de la plateforme (notamment Leroy Merlin et Weldom). J’ai également à cœur de  participer activement à la transformation de la direction juridique, en particulier à sa digitalisation et à son positionnement de business partner au sein de l’entreprise.

Depuis janvier 2023, j’ai le plaisir d’encadrer, en tant que directrice juridique,  notre superbe équipe, constituée de talents très complémentaires, de personnalités bienveillantes et très attachantes qui contribuent quotidiennement à l’atteinte des objectifs de Leroy Merlin

Quelles sont vos routines professionnelles ?

Boire beaucoup de café ? 

  • Le temps de prendre le temps :

En tant que manager de proximité, j’avais besoin de prendre la température de l’équipe tous les lundi matin lors de notre legal stand up.  Nous passions en revue les priorités de la semaine et nous prenions le temps d’un café avec chaque juriste de l’équipe au cours de la semaine. Ce temps est apprécié et permet de prendre de la hauteur sur notre quotidien, qui, en toute transparence, est assez intense. 

Depuis ma nomination, j’ai moins de temps pour conserver cette proximité avec toute l’équipe. Une proximité hebdomadaire qu’il a aussi fallu apprendre à déléguer à mes managers de pôle avec lesquels je conserve un temps individuel consacré à chaque manager, une fois par semaine, pour partager, se développer, se challenger mutuellement et bien entendu pour pouvoir préparer le reporting pour nos dirigeants (mon leader et son N+1). 

  • Le temps de l’analyse pour s’améliorer :

Chaque semaine ou chaque mois,  je prends le temps de l’analyse de nos statistiques sur les outils utilisés par notre direction (Asana, Hyperlex X Dilitrust, Izycontract et Izybot développés avec Seraphin legal…)  et nous en échangeons en équipe lorsque les indicateurs évoluent (positivement ou non). 

  • Et un peu d’organisation

Nous avons toutes sortes de rituels.  Des rituels d’équipe,  managériaux, de suivi de projets avec les métiers, de pilotage (roadmaps, KPI, plans d’actions) … rituels qui permettent de poser un rythme dans notre direction et de structurer,  notamment à l’écrit, une entreprise ou la culture prédominante reste l’oral!

En tant que directrice juridique, qu’est-ce qui est important pour vous ?

L’engagement de chaque membre de l’équipe ainsi que le développement et l’épanouissement des collaborateurs est important pour moi.  

J’ai également à cœur que la direction juridique soit reconnue, en interne,  par les enseignes que nous accompagnons comme un business partner et demain un business maker grâce à la data juridique & stratégiques que nous serons en capacité de mettre à disposition des métiers très prochainement. Et en externe, comme une direction juridique rayonnante,  innovante, où il fait bon travailler. Je suis fière de faire partie de cette équipe riche d’une belle palette de compétences et de personnes avec lesquelles je suis ravie de travailler au quotidien.

En quoi le legal design sert-il ces priorités ?

Le legal design sert les enjeux de notre direction. Tout d’abord, et cela a été visible assez rapidement, l’enjeu de développement de notre équipe. Certains collaborateurs se passionnent et proposent de réaliser des design très poussés et de former les équipes juridiques, fiscales ou encore la compliance à cette méthode de travail et de communication. Ils s’épanouissent dans les tests réalisés et dans la transmission et développent leurs collègues.

L’expérience 5 * que nous prônons dans l’équipe est enrichie par la méthode du legal design.  Nos métiers/utilisateurs sont chouchoutés (dans la mesure du possible et du temps imparti), leurs besoins sont compris, les propositions de solutions, les conseils, les cadrages sont synthétiques et visuels. 

L’enjeu d’efficience car la méthode du legal design, lorsqu’elle est acquise, permet un gain de temps pour le juriste et pour le demandeur, une meilleure écoute et une communication plus fluide. 

L’enjeu business est également servi, car certains partenaires de Leroy Merlin viennent de  signer les premiers contrats “designés” dans lesquels les rôles et responsabilités des parties prenantes sont clairs, et facilement accessibles à des non juristes grâce aux schémas et aux encarts de pédagogie.  

De quelle manière le legal design est-il intégré aux missions/projets de la direction juridique Leroy Merlin ?

Nous avons décidés, avec le collectif de managers, que nous n’en ferions pas une statistique supplémentaire (X% de documents “legal designé”), ni un objectif individuel évalué annuellement pour nos collaborateurs, car l’objectif n’est pas d’écœurer des collaborateurs moins sensibles à l’empathie cognitive ou au design (fonds et/ou forme) des documents. Chaque juriste est donc responsable au sein de son périmètre de choisir si le conseil, la note de cadrage ou le contrat mérite un niveau plus ou moins poussé de legal design.

Cette méthode de travail est à appréhender et cela se fait plus ou moins facilement en fonction des appétences et aptitudes de chacun. Il faut donc y accorder des temps de formations en interne et avec des cabinets experts dans le domaine et inciter les équipes à oser tester par la mise en application de la méthode à  des niveaux qui peuvent aller d’un mail, d’une note,  à un contrat entier. 

Cuisine, couture, restauration de vieux meubles, peinture, déco, chaque membre de l’équipe exprime sa créativité d’une manière différente dans la vie personnelle.  Et je suis persuadée que la créativité exprimée dans la vie personnelle nourrit la créativité professionnelle qui s’exprime dans nos projets

Enfin, nous avons mis à disposition des équipes un outil de legal design qui leur permet d’avoir des supports prêts à l’emploi. Nous avons choisi l’outil Law designer

  • pour sa compatibilité avec nos besoins ;
  • ses nombreux templates de contrats, de note, de rapport d’activité, …comportant le fond et la forme ;
  • la possibilité de tout personnaliser, notamment de personnaliser les modèles avec nos chartes graphiques ;
  •  et sa promesse d’évolution en fonction des retours des utilisateurs.

Quelles transformations ont généré la pratique du legal design au sein du département juridique et plus globalement au niveau de l’entreprise ? Pensez-vous que le legal design peut contribuer à réduire la tension qui existe entre les enjeux de création de valeur de l’entreprise et la rigueur/complexité inhérentes au droit et à la sphère juridique ?

Notre monde, nos écosystèmes, nos entreprises… sont de plus en plus complexes. Aujourd’hui, chaque dossier comporte des problématiques transversales qui impliquent une multitude de réglementations et de parties prenantes. Et en même temps, nos dirigeants et nos collègues métiers ont besoin de clarification et de simplicité pour gagner en efficacité et se concentrer sur le business. 

Le legal design est à la fois une méthode et un outil qui permet de simplifier la complexité et de communiquer efficacement. C’est aussi l’incarnation de la transformation du juriste qui passe d’expert métier à pédagogue.

Nous avons travaillé sur la transformation de notre métier de juriste depuis quelques années et jusque-là ce n’était pas tellement visible pour nos interlocuteurs internes.

C’est la pratique du legal design sur des contrats et des notes juridiques qui a mis en exergue la modernité de notre équipe juridique.

Pensez-vous que le legal design soit une tendance éphémère ou, aujourd’hui un levier de différenciation, demain des hard skills obligatoires pour tous les professionnels du droit ? Pourquoi ?

Le métier de juriste change et nous amène à nous questionner sur les nouvelles compétences à acquérir dans nos équipes. 

Nous avons posé avec des membres de l’équipe les compétences clés qui sont attendues dans notre écosystème par nos dirigeants ou nos métiers plus opérationnels. Nous avons rédigé une nouvelle fiche de mission du juriste et l’étoile des possibles que chaque juriste de l’équipe doit viser dans son quotidien.  Les nouvelles compétences clés que nous avons identifiées sont : 

  • l’anticipation grâce à un meilleur pilotage de la data & l’amélioration continue sur son périmètre (automatisation de certaines tâches à faible valeur ajoutée, par exemple), 
  • la gestion de projets de A à Z,
  • les notions financières plus poussées
  • le langage clair & la communication (#legal design)

Nous avons imaginé un parcours de formations collectives tout au long de l’année pour apprendre ensemble de nouvelles compétences. Nous avons choisi de commencer par le legal design pour faire basculer le mindset de nos juristes et entamer le change dans l’équipe.

Pour nous, la plus value du legal design c’est surtout le gain de temps pour nos commerçants, pour nos dirigeants, pour nos collègues en général.

Quels sont les projets prioritaires pour l’avenir et la transformation de votre direction juridique ?

Nos priorités sont les suivantes :  

  • en premier lieu, tenir le rôle d’une direction juridique en posant le cadre le plus sécurisant pour ce qui est le plus précieux pour l’entreprise ;
  • continuer à nous transformer (en terme de posture) pour rendre possible le business  et pour faire vivre une expérience 5* à tous nos “clients internes”, par exemple, en conservant un niveau de satisfaction de nos utilisateurs à plus de 70% sur notre plateforme juridique en ligne ;
  • rechercher le  bon niveau d’efficience grâce aux legal ops (priorisation, process, communication, digitalisation, automatisation & ressources).

Entretien réalisé par Amandine Badel, EDHEC Augmented Law Institute