« L’appropriation de l’IA juridique est autant une question de technologie que de posture professionnelle. »
Entretien avec Vincent Schatteman,(Naviguez librement dans l’interview en cliquant sur les menus ci-dessous)
Présentez-vous. Quel est votre parcours ?Titulaire d’une double formation académique droit et commerce, j’ai débuté ma carrière dans les achats internationaux avant de m’orienter vers le droit des affaires et la négociation contractuelle. Mon parcours m’a conduit à exercer des responsabilités juridiques et commerciales dans plusieurs grandes entreprises internationales, notamment Hewlett-Packard, Lexmark, Generali et aujourd’hui Atos, où je suis directeur juridique contentieux et gestion des risques pour la ligne de services Tech Foundations. J’ai eu l’opportunité de négocier des contrats commerciaux complexes, de structurer des services juridiques dans des environnements multiculturels et de piloter des stratégies de résolution de litiges à l’échelle mondiale. Mon approche est résolument tournée vers la création de valeur, l’innovation juridique et la recherche de solutions pragmatiques. Sur le plan personnel, mon parcours est marqué par une curiosité constante et une volonté d’apprendre. J’ai enrichi mon expertise par des certifications, notamment en legal ops, legal design et intelligence artificielle appliquée au droit, obtenues à l’EDHEC Augmented Law Institute. Multilingue, j’ai vécu et travaillé en France, en Belgique, en Suisse et en Italie, ce qui m’a permis de développer une sensibilité interculturelle précieuse dans la gestion de dossiers internationaux. Enseignant vacataire, passionné par la transmission, je crois fermement que le droit est un levier stratégique au service de l’entreprise et de la société. Dans vos expériences passées, comment évaluez-vous le recours à l’IA dans la fonction juridique ?Selon ma propre expérience, la fonction juridique a connu une digitalisation progressive, d’abord par l’intégration d’outils de gestion documentaire et de workflows contractuels, puis par l’émergence de solutions de legaltech plus sophistiquées. L’intelligence artificielle, en particulier l’IA générative, marque une nouvelle étape dans cette transformation car elle va permettre d’automatiser des tâches comme la revue de contrats, la recherche jurisprudentielle ou la veille réglementaire, tout en offrant des capacités d’analyse prédictive dans certains contentieux. Toutefois, son adoption reste contrastée selon les domaines : en contentieux, l’IA peut aider à modéliser des scénarios de résolution ou à identifier des tendances jurisprudentielles, tandis qu’en conformité, elle est surtout utilisée pour le monitoring des risques et la détection d’anomalies dans les flux de données. Dans le cadre des projets IA sur lesquels j’ai pu travailler, les solutions les plus mûres actuellement sur le marché sont celles qui s’intègrent dans les processus existants sans bouleverser l’organisation : outils de rédaction assistée, plateformes de gestion des obligations réglementaires, ou encore assistants juridiques virtuels. Le cadre réglementaire européen, notamment l’AI Act adopté en 2024, impose désormais une classification des risques liés à l’usage de l’IA, ce qui pousse les directions juridiques à structurer leur approche en fonction du niveau de criticité des outils utilisés. Selon moi, l’enjeu est donc double : tirer parti des gains d’efficacité offerts par l’IA tout en garantissant la conformité, la traçabilité et l’éthique des usages. Dans mes fonctions passées, j’ai observé que l’appropriation de ces technologies dépend fortement de la culture juridique interne et de la capacité à accompagner le changement. Certaines directions juridiques, dotées d’une culture d’innovation ou d’un lien étroit avec les équipes IT, intègrent plus facilement des outils d’IA dans leurs pratiques quotidiennes. À l’inverse, dans des environnements plus traditionnels ou cloisonnés, l’adoption reste lente, souvent freinée par des craintes liées à la fiabilité des outils, à la perte de contrôle ou à la complexité réglementaire. L’adhésion des équipes repose alors sur une pédagogie adaptée, des cas d’usage concrets et une gouvernance claire. Je pense que l’accompagnement du changement est donc un facteur clé de succès. Cela passe par la formation continue, la sensibilisation aux enjeux éthiques et juridiques de l’IA, mais aussi par l’implication des juristes dans la co-construction des outils. Les projets les plus efficaces que j’ai pu observer sont ceux où les juristes ne sont pas de simples utilisateurs, mais des acteurs du design fonctionnel, capables d’orienter les solutions vers des usages réellement pertinents. En somme, l’appropriation de l’IA juridique est autant une question de technologie que de posture professionnelle. Quels nouveaux outils ou quelles pratiques votre formation à l’IA vous a-t-elle inspiré ?Cette formation on m’a permis d’aborder l’intelligence artificielle non seulement comme un levier technologique, mais aussi comme un enjeu stratégique et éthique pour la fonction juridique. Elle m’a inspiré à structurer une approche plus rigoureuse de l’intégration de l’IA dans les processus juridiques, en commençant par des cas d’usage concrets comme la revue contractuelle automatisée, la veille réglementaire intelligente ou encore l’analyse prédictive des litiges. L’un des apports majeurs du programme à mon avis est la capacité à cartographier les usages pertinents selon les niveaux de risque et de maturité technologique, ce qui m’a permis de prioriser les initiatives à fort impact tout en respectant les exigences de conformité. Un autre aspect particulièrement enrichissant de cette formation et que je souhaiterais mentionner est la possibilité d’échanger avec d’autres professionnels du droit — avocats et juristes d’entreprise — sur des cas concrets. Ces discussions permettent de confronter les pratiques, de mieux se situer dans l’adoption de l’IA et d’identifier les leviers les plus pertinents selon les contextes. La formation propose également un suivi post-certification, en permettant aux participants de rester en contact et de continuer à progresser ensemble dans l’adoption et l’utilisation de l’IA. À mon échelle, certaines pratiques sont plus faciles à déployer, comme l’utilisation d’outils d’assistance à la rédaction ou de classification documentaire. En revanche, les usages en matière de contentieux ou de conformité exigent une vigilance accrue, notamment sur les biais algorithmiques et la traçabilité des décisions. |